Le Libre Panzer
Démocratie Participative
08 novembre 2019
Lucette est parti rejoindre Louis-Ferdinand.
Le Monde :
Depuis plus de 55 ans, on l’appelait « Madame Céline », preuve du respect, presque de la déférence que l’on accordait à cette ancienne professeur de danse au destin hors du commun. En 1935, elle n’a que 21 ans quand elle croise l’écrivain déjà auréolé du succès du Voyage au bout de la nuit et qui s’apprête à publier Mort à crédit. Coup de foudre ! Seule la mort les séparera, celle de Louis-Ferdinand en 1961. Elle est tellement pressée de le rejoindre que sur sa tombe, elle fait graver « Lucette Destouches, 1912-19… » Mais Dieu ne voulait pas d’elle ! Lucette Almanzor (son nom de scène, ou Almansor, son nom de jeune fille) s’est éteinte finalement à l’âge de 107 ans.
Gardienne du temple, elle habitait la maison de Meudon qui fut le dernier domicile de Céline. C’est ici, au premier étage de la villa Maïtou, 23 ter route des Gardes que l’écrivain décéda le samedi 1er juillet 1961. Dans l’ombre du géant, elle donnait des cours de danse. Et jusqu’à son dernier souffle, elle perpétua inlassablement son souvenir… Avec l’aide de François Gibault, elle s’oppose à la reparution de ses pamphlets antisémites en France : Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres ou Les Beaux Draps. Toujours avide de découvrir de nouveaux talents, elle fit de son repaire du bas de Meudon un passage obligé pour tous ceux qui voulaient entendre parler de l’écrivain ou recueillir des conseils artistiques. Fabrice Lucchini, Pascal Sevran, Patrick Poivre d’Arvor, Marc-Édouard Nabe – qui lui consacra l’un de ses meilleurs livres -, Frédéric Vitoux, mais aussi Patrick Besson, les 2be3 vinrent régulièrement partager son dîner. Souvent allongée sur une méridienne en face d’une cage où voletait Toto, un perroquet copie conforme du Toto de Céline mort dans les années 70, Lucette était curieuse de tout et friande des bruits de la ville. Elle ne ratait pas un journal télévisé, conservait une mémoire intacte au point de se souvenir d’une soirée donnée par Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris pendant la guerre. Figure discrète des lettres et des arts de la seconde moitié du XXe siècle, Lucette Almanzor fut intime de figures aussi considérables que les écrivains Paul Morand, Antoine Blondin, Roger Nimier ou Marcel Aymé, des prestigieux comédiens Michel Simon et Arletty, du peintre Jean Dubuffet, du chanteur Mouloudji… Sa maison était devenu un lieu de pélérinage où malgré deux incendies à la fin des années 60 puis en 1975 on conservait pieusement les reliques du maître.
Lucette Destouches était également la dernière survivante de la petite colonie de Français qui à l’automne 1944 gagna Sigmaringen, cette ville du Bade-Wurtenberg où s’était replié le gouvernement en exil du régime de Vichy. Son mari y soigna avec dévotion et sans compter son temps les maux de ces milliers d’irréductibles repliés dans une ville trop petite pour leur offrir l’hygiène et le confort minimum. Le docteur Destouches en fit un livre, D’un château l’autre, sous le nom de Louis-Ferdinand Céline. Elle forma avec son mari, et leur chat Bebert qui ne les quittait jamais, le noyau dur de ces irréductibles soutiens du gouvernement de Vichy vivant en vase clos avec Pétain, Laval, Brinon, Otto Abetz.
Femme de celui qui fut un écrivain adulé et célébré avant la Seconde Guerre mondiale, elle refusa de l’abandonner dans les années 50 quand Louis-Ferdinand Céline dut expier ses errements collaborationnistes et quelques livres plus que douteux (sic). En dépit de ses 18 mois de détention à Copenhague de 1945 à 1947 puis de six ans d’exil au Danemark, elle ne le quitta pas d’une semelle et continua de veiller sur son grand homme. Ensemble à leur retour d’exil, ils emménagèrent dans une maison du style second Empire sise 25 ter, route des Gardes à Meudon. Lucette donnait des cours de danse au premier étage tandis que l’écrivain noircissait inlassablement ses cahiers dans son petit bureau du rez-de-chaussée. Elle fut la première lectrice de la trilogie allemande D’un chateau l’autre, Nord et Rigodon dernier livre qu’il acheva le 1er juillet 1961 quelques heures avant de pousser son dernier soupire. Lucette apparait d’ailleurs sous des identités et des descriptions diverses dans D’un château l’autre et Nord qui relate l’épopée allemande puis danoise du couple. Elle participa également à l’édition de Rigodon, publié après sa mort en 1969.
A l’été 2018, Lucette céda sa maison de Meudon à l’un de ses voisins tout en en conservant l’usufruit. Désormais assistée de plusieurs infirmières et incapable de se lever, elle était criblée de dettes et s’est résolue à contre cœur à vendre ce Saint des saints, en fort mauvais état où elle a habité près de 70 ans. Solicitée la mairie de Meudon n’a pas préempté le lieu, effrayée par l’ampleur des travaux qui devaient être entrepris pour faire de cette demeure historique un musée dédié à l’écrivain.
L’œuvre de Louis-Ferdinand Céline tombera en 2021 dans le domaine public. Il sera alors loisible à chaque éditeur de publier tous les textes -même les plus contestables- de l’auteur, mais c’est à Lucette de désigner par testament à qui reviendra le droit moral de l’écrivain. Une tache ô combien importante et délicate et qui sera disséquée. Fin 2017 lorsqu’elle émit l’idée de publier les pamphlets de son époux, (Bagatelles pour un massacre et L’École des cadavres qui datent de la fin des années 30 et Les Beaux Draps édité en 1941) accompagné d’un appareil critique, une immense polémique vint obscurcir et dénaturer ce projet. Au point que Gallimard dut y renoncer. Preuve une fois encore que tout ce qui touche à Céline reste inflammable…
Explosif même.
Vous trouverez les satires de Céline ici :