Alexandre
Démocratie Participative
18 septembre 2019
Cette intervention du Captain Harlock est si impressionnante d’exactitude et de vérité, que je me devais d’apporter mon témoignage ; et ceci pour une raison qui apparaîtra au fil de ma contribution.
Je fus « prof » durant une période de dix ans à peine, « prof » itinérant ou selon la désignation en vigueur « remplaçant ». C’est un statut qui me convenait parfaitement. D’une part, il est vrai que cela vous compliquait parfois la tâche, étant en effet bien plus exposé au chahut… Mon expérience remonte à présent à plus de vingt ans, je pense qu’aujourd’hui ce « différentiel » aura même disparu. D’autre part, en tant que maître suppléant, j’eus l’avantage de visiter, durant près de dix ans donc, toutes les écoles de mon canton, souvent pour des engagements courant sur des trimestres voire des années académiques entières dans les mêmes classes de l’un et l’autre établissements d’État.
Précisions importante, je n’exerçais pas en France mais en Suisse, dans une des cités et canton les plus riches et policés en Europe de l’ouest. Plus important encore, la Suisse n’est point jacobine, mais tout à l’opposé, fédérale ; et son système d’enseignement obligatoire n’est pas centralisé à l’échelle de l’État fédéral. Chaque canton jouit donc d’une grande souveraineté dans l’organisation et la gestion de l’enseignement public. Eh bien, figurez-vous, qu’en dépit de ces différences politiques et institutionnelles qui, à d’aucuns semblent importantes, essentielles même, ce que décrit Captain Harlock est très exactement ce que je pus moi-même expérimenter, et à la virgule près, dans un contexte fort différent.
Ce que Captain dit de la sélection et du filtrage du personnel est parfaitement exact – parce que certains pourraient y voir quelque caricature inspirée d’un anticommunisme primaire… Oh, que non ! Combien de fois eu-je l’occasion de tomber dans un tiroir de bureau de l’une de mes classes sur des rapports, intermédiaires d’aspirant(e)s titulaires, remis à leur tuteur de fonction. De véritables auto critiques avec des formules très touchantes quoique stéréotypées : dans le style J’ai fait preuve de présomption, parce que je viens d’une famille cultivée et qu’à l’université j’étudiais le latin et le grec ancien. Je n’ai pas pris assez tôt la mesure de ce que ce biais pouvait rendre humiliant ma pratique de l’enseignement devant des classes d’élèves bien moins privilégiés que je ne l’étais. Je le regrette amèrement ; j’ai pu parfois blesser par des remarques et des exigences inappropriées, etc.
Mais l’autocritique ne s’arrêtait pas là. Il y fallait encore de l’intime, dans le style : je vis depuis peu en couple et nous tenons beaucoup à ce que je puisse exercer cette profession, car nous ne saurions nous y prendre autrement… Garantie ainsi donnée d’une dépendance intégrale, dorénavant, aux directives et fantaisies des « maîtres du temps ». Voler un tel document, serait-ce par photocopies, à des fins polémiques, je n’en avais le courage, tant ils m’apparaissaient pathétiques, déchirants. Et puis de toute manière, j’étais bien placé pour savoir que c’était la norme ; du copier-coller à chaque coup, mais avec cette touche rare ou la candidate ou le candidat doit vraiment faire preuve d’humiliation vraiment personnelle et d’une abnégation ne laissant plus entrevoir aucune faille. Ce qui se révèle fort logique et fonctionnel. Car, si vous pouvez faire dépendre une carrière d’un tel acte de contrition, il est clair qu’une fois reçu(e), nommée fonctionnaire de l’enseignement public, telle personne jamais ne commettra de vague, par crainte atavique de rouvrir la plaie par où elle s’était fait harponner.
La profession, en Suisse comme en France et comme partout ailleurs dans nos états nihilistes, je suppose, est désormais conditionnée par un diplôme universitaire et un passage de quelques années par une « formation pédagogique » ad hoc, dispensée durant le deux années voire les quatre années de probation du candidat à se voir titulariser en tant que fonctionnaire de l’enseignement public. Cette « formation », que je désigne comme « l’apprentissage à confectionner des chaussures, destiné à des cordonniers » est donnée par les mêmes profils psycho-pathologique et idéologiques qui sévissent en France. Au reste, les autorités, dans les cantons limitrophes, n’hésitent pas à les recruter en France, de sorte à se prévaloir contre toute mauvaise surprise. (Ainsi, à l’exportation de nègres et de marron, democratieparticipative se doit de mentionner l’exportation de commissaires politiques à la déformation prématurée de la jeunesse, parmi les fleurons de l’industrie et de la science françaises contemporaines !)
Il n’est pas inutile de mentionner que la quasi-totalité des membres de ce commissariat politico-pédagogique n’ont jamais pratiqué d’enseignement face à des classes d’élèves. Le « réel » viendrait, en effet, par trop déranger leurs schèmes et méthodes abstraits, tissés de considérations sociologiques frappées d’ « anémie adipeuse », prémâchées et redondantes.
Je n’ai rien d’autre à ajouter au tableau de Harlock, que ce soit sur la mentalité détestable des « profs » ou sur le climat et la fonction de la « salle des profs ». Tout y est exact et n’a pu dorénavant qu’empirer encore. Toutefois autorisez-moi les quelques remarques suivantes, car elles valent le coup :
A) J’ai souvent pu constater que, dans les nombreux établissements où j’exerçais, les commissaires politiques les plus zélés étaient des maîtres dans les sciences et les maths ; matières confortables peu susceptibles de provoquer du chahut, sauf dans des cas désespérés, vite largués et relégués dans des classes spéciales.
B) En Suisse le salaire moyen d’un maître d’enseignement nommé dans l’enseignement public est très, mais vraiment très confortable, incomparable avec ce que vous connaissez en France comme dans la plupart des pays avoisinants, l’Allemagne y compris. Le taux d’absentéisme professionnel et de congés maladie n’en est pas moins hallucinant. Pour chaque salaire plein, comptez pour le moins un salaire et demi afin de boucler le budget. Dépressions, alcoolisme, addictions diverses et cumulées, crises de panique, et j’en passe. J’étais bien au fait de toute cette misère terriblement dispendieuse pour la collectivité, puisqu’une partie de ma fonction consistait à rendre régulièrement compte de mes travaux aux titulaires que je « remplaçais ». Le « côté trop humain » de la chose c’est aussi ces trop rares congés-maternité, systématiquement programmés pour ne pas survenir en périodes de grandes vacances, voire même de mordre sur elles de quelques jours ! La profession étant pourrie de femmes souvent accompagnées, au reste, de leurs conjoints ou compagnons, comme le mentionne l’article du Captain.
C) Mesure disciplinaire interne, à usage préventif comme exemplaire : en quelque dix ou douze années de pratique quasiment quotidienne, je n’ai qu’à une seule reprise croisée une brebis noire, femme d’apparence quelconque d’origine bulgare, fort professionnelle et visiblement rétive à ce cirque macabre sur le dos des générations montantes. Titularisée, elle ne pouvait donc être balancée. Année après année on lui fabriquait donc des horaires l’obligeant à donner deux heures par-ci, et puis deux heures par-là, à quelque soixante kms, l’obligeant à traverser la cité durant les heures pointe et, surtout, à perdre un temps considérable, afin d’honorer sa charge de cours disséminée dans tout le canton.
D) Aux étages supérieurs : J’eus l’occasion d’entrer en conflit avec la direction d’un établissement où j’enseignais régulièrement, suite à un rapport assassin qu’on commit derrière mon dos, alors que je ne demandai rien à personne et que mes services donnaient satisfaction et d’appréciables résultats. L’autorité supérieure, le Conseil d’état, mit plus de trois mois à me répondre des insanités consistant à me renvoyer, en guise de justification, les propos médisants qu’une aspirante commissaire politique s’était permise à mon égard. Rien là d’étonnant. En effet la pléthore de cette race de blattes suceuses dedans les crânes de jeunes enfants, avec leur « conscience politique » et leur discipline exemplaire, rejoints par leurs proches en âge d’exercer leur droit de vote, forment un réservoir de voix qui déterminent in fine toute élection et votation populaire, dans les cantons fortement urbanisés de la Suisse contemporaine. Se les mettre à dos, c’est risquer fort d’avoir à tirer un trait sur une juteuse retraite de conseiller d’État ou de municipalité… C’est aussi simple que cela. Pour les vieux croûtons de la politique qui n’encourraient point tel risque, ils ont par ailleurs suffisamment de casseroles aux fesses pour ne pas se mettre en mauvais termes avec des « intellectuels patentés », etc. Lâcheté, démission et bonnes petites affaires ; le sens civique, l’intérêt commun, ce sont de la rhétorique électorale. Certes, je ne vous apprends rien ; cependant l’exemple de la Suisse est intéressant, tant son système de démocratie semi-directe, son référendum et ses initiatives populaires permanents, sembleraient à certains la panacée.
L’exemple de la Suisse est d’autant plus accablant, qu’à la différence de la France, après la Deuxième guerre mondiale, elle n’eut pas à abandonner la « culture » à la gauche, afin de sauver son oligarchie patricienne, capitaliste et administrative des dangers d’une révolution… Et même si Staline entra dans une rage folle, quand il apprit que ce pays insignifiant refusait de lui livrer les prisonniers de guerre russes qui avaient trouvé refuge sur son territoire, il ne poussa pas l’outrecuidance jusqu’à lui dicter les conditions d’un modus vivendi*. (Aussi est-ce bien la statue du général de Gaulle qui se trouve plantée devant l’hôtel Cosmos, à Moscou, et non celle de Guillaume Tell.) Ceci pour bien signifier, sur la foi d’arguments factuels, que, dans la crise contemporaine, la ligne défendue par démocratie participative est vraiment la seule pertinente, cohérente et prospective, à la lumière de l’histoire contemporaine et face à l’abîme entrouvert devant nous.
*Le courage de la Suisse ne se montrera tout de même pas si téméraire. En effet, elle n’accordera pas l’asile politique et humanitaire à ces prisonniers russes mais elle les exfiltrera, via la Turquie, vers où bon semblera à ces prisonniers.
Les autres sites dits de réinformation, accessibles au public ne parlant que français, à l’exception de quelques raretés que votre public, je suppose, connait, ne sont que des faux-nez gangrénés de contradictions internes, décomposés en pleine marche par le souci de s’autojustifier et de donner des gages de bonne foi à des instances qui les méprisent.
Pour revenir à mon thème principal, en fin de compte, j’eus bien de la chance. Des restrictions budgétaires obligèrent les établissement scolaires du canton où je résidais à faire appel à mes disponibilités, sur un temps suffisamment long pour que je pusse élever mon enfant, seul, dans des conditions économiques acceptables. Car, en effet, dans des circonstances normales, l’éducation publique n’engage de « remplaçants » que parmi des étudiants inexpérimentés ou des retraités de l’enseignement. En tous les cas, la pratique consiste à faire tourner le plus de suppléants possibles occupant de brèves périodes; de sorte que des « moutons noirs » ne viennent à découvrir la quantité astronomique de « cadavres » qui occupent les armoire de cette administration !
Je conclus en relevant la haute et profonde pertinence des propos de Titus sur le logiciel aux ressorts kantiens (quoique j’aurais quelques réserves à embarquer le « Chinois de Königsberg », sur le même Titanic), hégéliens et maçonniques, lors de votre récente émission radiophonique. C’est exactement cela, et d’autant plus affligeant que la logorrhée de ces barbouilleurs de vérité semble devoir être le dernier mot de la conscience intellectuelle commune, en occident. Les extensions foucaldiennes déridiennes, bourdieusiennes ne sont que des resucées de ces surgeons de crétinisme moral censé représenter le sommet de la pensée moderne. « Féminisme », « études de genres », « indigénisme » n’étant à leur tour que des produits dérivés de tels surgeons…